E-mail issu de la correspondance entre Hugues Canetti et Francis Thievicz.

 01/07/2018

Mon hypothèse est la suivante : l'archéologie moderne est, comme tant d'autres choses, une fumisterie ! On tente de nous faire croire que les grandes découvertes se sont faites très récemment, que nous devons lever des fonds - et donc payer avec un grand sourire - pour aller gratter de la terre et découvrir ce que déféquaient les esclaves abrutis de temps prétendument anciens (dont je me fous tout autant que de l'étron du péquin actuel). Balivernes !
L'archéologie est, selon moi, bien plus atavique (et déliquescente, et arrogante) que nous le pensons. D'après moi le désœuvrement est la cause de nombreuses guerres - voire la raison originelle de tous les conflits -, on tentait de conquérir des terres pour les explorer, pour confirmer ou infirmer des hypothèses, pour répandre sa doctrine ou pour écraser les délétères fermentations voisines, mais aussi pour récolter de la main-d'œuvre afin de piocher et sonder des strates de plus en plus anciennes ; ainsi que les vikings menaient leurs navires toujours plus loin, on explorait les terra incognita du temps (mais temps et espace ne se confondent-ils pas dans les strates géologiques!).
Figurez-vous des peuplades primitives, tentant vainement de chasser, volant une carcasse à d'autres charognards, tentant de cultiver la terre... Imaginez vous véritablement à leur place, tentez même l'expérience quelques jours... Au fond, nous sommes pareils à tous les autres mammifères : nous mangeons, mais cela ne nous prend pas tant de temps que ça, nous copulons parfois (rarement), et surtout nous attendons que le temps passe. Et lorsqu'un singe curieux découvrit des bas-reliefs figuratifs mais étranges, lorsque des fresques furent mises à jour par je ne sais quel hasard géologique, il ne suffit que de quelques poêlées de champignons ou quelques herbes ou baies douteuses pour créer des mythes, des légendes, des cosmogonies.
Alors on fouilla, parfois de manière artisanale, parfois à échelle civilisationnelle, parce qu'il fallait tuer le temps, employer son inutile cervelle à quelque entreprise aussi inepte soit-elle. Alexandre le Grand, Attila, Gengis Khan, Justinien, Soliman... Qui vous dit qu'ils (eux ou d'autres, ou seulement certains d'entre eux) ne sont pas venus piller et conquérir afin de comparer leurs découvertes aux nôtres, entreprendre des recherches en quête de ce qu'ils avaient vu chez eux et que nous ne voyions pas même en l'ayant sous notre museau ?! Peut-être ont-il trouvé des piliers cyclopéens taillés (voire forgés) aux premiers âges de la Terre et désormais enchâssés dans la matière même des montagnes ou sous les épaisseurs des tourbières. Pour ma part je l'ignore, mais je n'irai pas dire à quelqu'un qui le pense qu'il a tort - car mon doute et ma lucide modestie m'interdisent de nier ce qui dépasse mon pitoyable entendement humain. ("Il resterait des traces écrites" s'exclamera le benêt. Eh bien, benêt, crois-tu posséder tous les écrits de tous les âges ? Crois-tu aux édifices sur lesquels se sont érigés les immondices cruciformes chrétiens et dont il ne reste plus de traces ? Comprends-tu qu'un vaste travail de sape a été orchestré par ces pervers copistes aristotéliciens qui maniaient leurs plumes comme on use de manipulations mentales ? N'as-tu donc pas d'étranges contes dans tes soi-disant livres saints ? Benêt, gobeur de mouches, esclave servile, disciple de la doxa !)
Qui nous dit que Himmler n'a pas déporté des hordes d'esclaves qu'il a menés dans des mines secrètes datant de centaines de millions d'années ? Qui peut affirmer que Staline n'a pas sondé la Sibérie au prix de la mort de millions de prétendus rebelles ? Comment savoir si Pol-pot n'avait pas eu connaissance de temples inconnus qu'il aurait voulu raser avant d'éradiquer les érudits binoclards ?
Voilà plus de deux mille ans que rien n'a avancé. Toute la science humaine stagne, globalement : il y a parfois de pales éclats un peu plus profanes que les délirantes mystiques ancestrales, et cela devrait suffire à nous faire croire qu'il est important de constater que les bactéries, les microbes, les vaccins, et toutes ces vétilles compensent acupuncture, chamanisme, analyse de rêves, voyance, chakras, humeurs, consommation de drogues aphrodisiaques, la croyance à la terre plate (ce serait une régression si du moins ceux qui n'y croient pas se demandaient au moins quelle forme a notre planète, car ne nous y trompons pas : le serf moderne se contrefiche de la sphéricité de ce qui soutient ses pattes), les danses de la pluie, la prière aux entités invisibles, les superstitions... Rien de tout cela n'a cessé malgré le soi-disant progrès de la science !
... Rien n'a avancé, et tout a plutôt régressé (si l'on met de côté la mortalité infantile... mais je pourrais argumenter sur le fait qu'il y a là aussi régression, et vous ne pourrez qu'être d'accord avec moi. Il y avait peut-être de la sagesse consciente dans le fait de ne pas interférer avec la nature lorsqu'elle ôtait certains inadaptés du spectre de la vie). Nous jonglons avec les connaissances pour les plier à nos certitudes de la même manière qu'un déiste va louvoyer pour que rien n'interfère avec ses croyances. "Tel cristal de quartz, tel diamant, tel agencement de roches, est cohérent avec nos modèles, vous êtes dans l'erreur en songeant à un dessein conscient ou une industrie plus vieille que les dinosaures ou quelque intervention hors norme admise par nos érudits.", disent-ils, tout comme le musulman dira "Dans le Coran est décrit le développement du fœtus" alors qu'il n'en est rien lorsqu'on se penche véritablement dessus de manière objective ! Et quand bien même, n'est-ce pas vous qui répétez qu'à x²=4 il n'y a pas qu'une mais deux solutions tout aussi valables ?
Je veux donc en venir au fait que Lovecraft avait bien des défauts mais son intuition pourrait ne pas être fondamentalement fausse. De même que (par exemple) La pierre noire de Howard (qui rend hommage à son ami dans ce récit et s'inscrit donc en suiveur) ou d'autres moins romanesques.
La situation dans laquelle nous nous trouvons est que la science explique bien des choses mais ne sait rien exclure, sinon dans son arrogance bien humaine. Pour en arriver à une conclusion il existe bien des chemins... Arrivera peut-être un jour où nous forerons les hauts-plateaux mongoles, les montagnes antarctiques, le permafrost arctique, les reliefs andins, le massif central, voire les fonds marins d'anciennes plaques tectoniques effondrées, et nous exhumerons des outils plus éloquents que tout ce qui nous passe sous le nez et que nous croyons naturels alors qu'il s'agit de restes dégradés d'artisanats plus vieux que Pangée. Je ne donne pas autant de crédit aux illuminés du Bugarach qu'aux sobres universitaires, mais suffit-il de quelques gueulards dégénérés pour que leurs positions soient définitivement discréditées ? La physique a-t-elle été fausse depuis Newton parce qu'Einstein a relativisé certaines formules ? Stubbins Ffirth a-t-il suffi à reléguer l'épidémiologie au rang des parasciences ? Etc.
N'écoutez pas les gens mais prêtez l'oreille aux idées, même (et surtout) à celles qui vous semblent le plus improbable ! Souvenez-vous qu'on ne juge de l'intelligence qu'avec les tares de sa propre intelligence.